Le crowdfunding : témoignages d’entrepreneurs

En novembre 2015, l’Observatoire Alptis de la protection sociale a publié une étude sur le thème : « Le crowdfunding : mutation ou mirage pour l’entrepreneuriat ? ». Dans le cadre de cette analyse sur cet essor du financement participatif dans notre société, l’Observatoire a interrogé quatre entrepreneurs ayant eu recours au crowdfunding, avec des résultats contrastés.

« Nous avons fait naître une communauté »

Romain-Guirec Piotte, créateur d’INSIDE, un jeu de casse-tête développé grâce au crowdfunding.

Pourquoi avoir lancé INSIDE par l’intermédiaire du financement participatif ?

Romain-Guirec Piotte

Je ne suis pas ce que l’on appelle communément un entrepreneur. D’ailleurs je ne vis pas de cette activité, je touche simplement des droits d’auteur. Je suis avant tout un créateur qui a eu envie de développer un projet. En 2013, après la réalisation d’un prototype en 3D, insuffisant pour séduire les distributeurs, j’ai décidé, un peu par hasard et parce que je ne voulais pas faire appel à une banque, de me tourner vers le crowdfunding en passant par une plateforme généraliste.

Avec quel bilan ?

Une levée de fonds de 68 000 € alors que nous n’en demandions que 40 000. Nous avons bénéficié de deux participations de 10 000 € issues de personnes qui voulaient fortement investir dans le projet. Ces 20 000 P ont permis un bel affichage sur la plateforme. Les proches avaient initialement participé à hauteur de 3 environ. Nous avons lancé une deuxième campagne en 2015 qui nous a permis de réunir 62 000 €.

Comment expliquer ce succès ?

Par deux facteurs. Le premier est une préparation minutieuse de la présentation du projet avant la campagne de levée de fonds. Nous avons mis 3 mois avant de nous lancer, le temps de réaliser un site internet, de contacter la presse, de multiplier les contacts. Il ne suffit pas de présenter son projet sur une plateforme pour que ça marche. Le travail préparatoire est énorme mais indispensable. Le second facteur est que le jeu, car il se compose de différents niveaux, a suscité des attentes. Les gens avaient envie d’aller plus loin, parfois même de créer une collection. Ils exprimaient cela sur l’espace dédié aux commentaires sur la plateforme. Celui-ci a fini par vivre sans notre participation. Nous avons fait naître une communauté.

« Le crowdfunding demande énormément de temps et de travail »

Sarah Da Silva Gomes est fondatrice de Constant & Zoé, marque de vêtements et accessoires pour personnes en situation de handicap.

Comment est née Constant & Zoé ?

Mon frère est atteint d’infirmité moteur cérébrale. Tout petit déjà il était techniquement très difficile de l’habiller. En plus d’être inadaptés, les vêtements sont peu esthétiques et stigmatisants. Après un master 2 en management et stratégie des entreprises, j’ai décidé de créer Constant & Zoé en 2015. Constant, pour mon frère, et parce qu’il signifie «persévérance » en latin. Zoé, parce qu’en grec ça signifie « vie ». N’ayant aucune expérience dans le milieu de la mode, j’ai travaillé avec un bureau d’études lyonnais ».

Comment avez-vous fait appel au crowdfunding ?

Mon choix s’est porté sur une plateforme généraliste. L’objectif était de récolter 15 000 € sur deux mois. Nous avons obtenu 17 000 € ! J’ai proposé des précommandes de produits en guise de contreparties. Les contributeurs ont investi dans une paire de gants, une écharpe, un manteau. Un tiers d’entre eux étaient des personnes de la communauté fédérée par Constant & Zoé : professionnels médicaux, amis, famille, etc. Les deux tiers restants étaient des contributeurs méconnus originaires de France, de Belgique, de Suisse et du Danemark.

Que vous a apporté ce mode de financement ?

Un formidable tremplin entrepreneurial, social et solidaire. Je conseille ce système, à condition de s’investir à 200 %. Le crowdfunding demande énormément de travail et de temps. En amont, il a fallu préparer la campagne en préparant et en envoyant des communiqués de presse aux médias, en créant des vidéos. Il a ensuite fallu choisir les modèles de vêtements à mettre en avant, ceux qui représentaient le mieux la marque. En aval j’ai fait le choix de répondre personnelle- ment à chaque contributeur. Il faut être réactif et créer des événements autour de la campagne.

[Vidéo] Témoignage de Sarah Da Silva Gomes, fondatrice de Constant & Zoé sur le crowdfunding, jeune entrepreneur de l’Incubateur Alptis

« La pression est importante »

Jordan Jeandon s’est lancé dans une campagne de crowdfunding pour donner un nouvel essor à sa marque de t-shirts Lundi Midi. Le concept ? Proposer des pièces uniques confectionnées chaque lundi par un photographe, un designer et un graphiste. Objectif : récolter 4 000€ pour vendre en magasin. La levée de fonds s’est soldée par un échec.

Comment analysez-vous cet échec ?

 

Par plusieurs raisons. Je ne pouvais compter que sur un nombre limité de proches car ma famille est restreinte. Orla contribution des proches est essentielle, surtout au lancement de la campagne. Autre désavantage, le fait que je porte seul la marque. Cela donnait l’impression que l’argent allait directement dans ma poche. Mêmes certains proches m’ont dit : « pourquoi nous te donnerions de l’argent alors que le contexte est aussi difficile pour nous en ce moment ? ». Ils ne se sont pas retrouvés dans ma démarche.

Que changeriez-vous si vous souhaitiez recommencer ?

Je préparerais mieux cette campagne, d’autant que la pression est importante. Notamment celle de la plateforme qui exige d’avoir atteint 20% de la somme totale en une semaine auprès des amis et des proches. Comme je n’ai pas réussi, elle ne m’a pas mis en avant auprès d’une communauté plus large. Je donnerais aussi plus de sens à cette campagne en ne la cantonnant pas au développement commercial.

Quels enseignements en avez-vous tiré ?

Un produit comme celui que je propose est difficile à commercialiser sur le web car il représente plutôt un achat coup de cœur qui implique de voir et toucher. Cette problématique s’est finalement logiquement reproduite dans le crowdfunding. J’ai aussi compris que la rétribution n’est pas le plus important dans ce type de campagne, l’ambiance prime. La prochaine fois, je préparerai une campagne de communication à part entière, au lieu de me contenter d’annonces qui se perdent dans la communication institutionnelle de la marque.

« Une bonne campagne de crowdfunding, c’est un investissement ! »

Hervé Sultana souhaitait financer un nouveau laboratoire de préparation pour son activité de vente de donuts. Des gâteaux qu’il commercialise dans ses deux magasins lyonnais Donuts Factory. Face au refus des banques de le soutenir, il s’est tourné vers le crowdunding, mais sans succès.

Pourquoi avoir décidé de recourir au crowdfunding ?

Donuts Factory disposait de 27 000 fans Facebook, ce qui laissait penser que les gens suivraient. C’était aussi une façon de les intéresser à la société et de les investir autrement que juste comme simples fans/clients, mais ça n’a pas été le cas. Nous n’avons pas réussi à réunir les 80 000€ nécessaires au changement du laboratoire. Nous avions prévu comme contrepartie des boîtes de donuts, des autocollants, des t-shirts pour les petites participations et au-delà de 750€ et jusqu’à 5 000€, le prêt gracieux de notre local au cœur de Lyon pour organiser un événement.

Comment analysez-vous votre échec ?

Je n’ai pas consacré assez de temps à la préparation de cette campagne. Je ne pouvais toutefois pas faire plus car il fallait se concentrer sur la production pour faire rentrer du cash. Idéalement, il aurait fallu faire appel à un community manager qui aurait accompagné cette campagne et évité qu’elle se noie dans la foule d’autres projets présents sur la plateforme. Qu’il la fasse sortir du lot pour donner envie aux contributeurs potentiels de miser sur nous.

La communication est le cœur du problème ?

Oui, c’est indéniable. Par exemple, nous avons eu le tort de ne pas faire de vidéo, c’est un plus qui rend le projet vivant. Ce qui nous a vraiment manqué, ce sont les moyens pour faire le buzz. Les proches ont participé à cette campagne mais ça n’a pas été beaucoup plus loin que ce 1er cercle. Après coup, on se dit aussi que le montant demandé était trop important. Au final, on apprend de ses erreurs, et je sais désormais qu’une bonne campagne de crowdfunding, c’est un investissement, sur tous les plans !