Prévoyance : et si vous y pensiez ?

Assurer son décès ou son invalidité est une spécificité de notre société qui se traduit par la multiplication des contrats de prévoyance. Est-ce pour autant une nouvelle manière d’envisager la mort ? Les réponses de la sociologue Gaëlle Clavandier*.

Assurer sa mort ou son invalidité reste-t-il un tabou ?

 

Dans une société assurantielle où l’Etat Providence n’est plus le seul acteur d’une régulation des risques, il semble logique que les contrats de prévoyance aient un succès grandissant. Sur le terrain, je constate que de plus en plus de personnes trouvent légitime que leurs proches, surtout s’ils sont âgés, pensent au financement de leurs obsèques, au même titre qu’à leurs dernières volontés. Pour autant, cela ne veut pas dire que ces modalités soient discutées dans le cercle familial élargi. Le plus souvent, c’est à l’échelle du couple que ces décisions se prennent. Fréquemment, la signature de ces contrats intervient consécutivement à un événement déclencheur comme la maladie, la perte d’un proche ou des conflits intergénérationnels.

Est-ce une nouvelle manière d’anticiper la mort ?

Certes ces contrats de prévoyance se normalisent. Malgré tout, le fait que le mandataire reste, dans la très grande majorité des cas, un enfant ou un conjoint conforte le principe d’une solidarité de proche à proche qui demeure un modèle.

« La mort est désormais perçue comme un risque »

Cette volonté de prévoir et maîtriser n’est pas étrangère à notre perception de la mort comme une expérience traumatique, imprévue, laquelle vient bouleverser les équilibres, notamment au sein de la famille. Un sentiment d’incertitude et de vulnérabilité peuvent se conjuguer, si bien qu’il paraît rationnel de « s’assurer ». La mort est désormais perçue comme un risque.

Avec quelles conséquences ?

L’augmentation de l’espérance de vie crée une sorte d’étalon. Mourir avant 80 ans est considéré comme anormal et injuste. De même, la logique de prévention entre dans les mœurs avec les dépistages précoces, l’identification de comportements à risque. Elle revient à modéliser les décès avant 65 ans comme une « mortalité évitable » ou « prématurée ». Ainsi, les sociétés modernes ont développé de nouvelles réponses face à la mort. La prévention comme la prévoyance en constituent un aspect, mais on peut en relever d’autres comme la transformation du rapport au corps avec la crémation ou la thanatopraxie, mais aussi l’apparition de nouveaux dispositifs mémoriels comme la réduction de la durée des concessions et l’usage des nouvelles technologies.

Souscrire des contrats de prévoyance participe-t-il à une démarche de préparation face à la mort ?

Préparation est un bien grand mot car, pour la plupart, ces contrats visent à placer un capital qui pourra servir au financement des obsèques, je pense ici aux contrats d’assurance obsèques en capital. Comme l’a montré Bérangère Véron dans sa thèse**, peu de personnes font aujourd’hui le choix d’anticiper leurs funérailles en organisant la cérémonie dans son ensemble. Dans le cas des contrats d’assurance obsèques en prestations, outre les aspects réglementaires relatifs aux dernières volontés que sont la crémation, l’inhumation, la cérémonie religieuse ou civile, il est possible pour le souscripteur de personnaliser sa demande. On aurait pu penser que de telles formules allaient renouveler, voire inventer de nouvelles formes d’adieu. Or pour l’heure, les prestations demandées sont plutôt « standardisées ».

*Gaëlle Clavandier est maître de conférences à l’université Jean Monnet, Saint-Etienne, sociologue et anthropologue. Elle est chercheur au Centre Max Weber, rattachée à l’équipe « Dynamique de la vie privée et des institutions ». Ses travaux portent sur le renouveau du rapport à la mort. Elle a notamment publié Sociologie de la mort. Vivre et mourir dans la société contemporaine, Paris, Armand Colin, Collection U, 2009.
** Préparer sa fin de vie et ses obsèques : pratiques, enjeux, socialisation familiale. Le cas de la prévoyance funéraire, 2012.